Zatibagnan et les sorcières mangeuses d’âmes : Premier épisode
Il est minuit et cette nuit est noire et glaciale. Un vent soufflait, vibrant dans le feuillage des arbres, hululant aux arêtes des toits de chaume. Des chiens hurlaient à la mort, accompagnant le hi han des ânes.
Soudain, d’une concession, une lueur monta. Elle ressemblait à la flamme d’une allumette, mais plus grande. Suspendue au-dessus des cases, blanche, sa pointe dansait comme un ruisseau d’eau ondulant.
Elle oscilla ainsi pendant un instant avant de se déplacer, tel un navire sur un calme océan, vers un gigantesque arbre, le grand fromager du village de Bizinokou.
C’est alors que de presque chaque concession de ce village, d’autres feux du même genre convergèrent vers le fromager. Ils étaient de toutes les formes, ces feux bizarres qui ne semblaient pas provenir d’une allumette. Il y en avait des ronds, des carrés, d’étoilés, des cylindriques. Il y en avait même un, long, qui ondulait comme un serpent.
Bientôt, le fromager devint un brasier où étaient agglutinées ces abeilles incandescentes. Il ressemblait du coup à un arbre de noël. Un sapin de noël bien étrange, où les ampoules n’étaient pas des ampoules ordinaires…
*
* *
Wanganhoba est un homme de trente ans. Mais il n’a toujours pas de femme. Aucune des jeunes filles du village ne voulait de lui. Elles le trouvaient trop … laid. Ce qui rendait Wanganhoba fort malheureux. Il a beau se mirer sous tous les angles, il ne voyait pas en quoi il n’était pas beau.
Ses oreilles sont bien décollées et bien larges et n’enviaient rien à celles des éléphants. Son nez est gros, comme tout le monde, et même que lui son nez avait la rare particularité de remplir tout son visage.
Ses yeux sortaient de leur cavité. Ce qui lui permettait de mieux voir que les autres. Ses dents sont bien longues et bien noircies par le tabac et la cola. Toutes ces beautés cohabitaient dans un visage carré à la peau de granit pilé, mélangé à un teint d’ébène brûlé.
Il est aussi grand et fort que le fromager du village, ses mains rendent jalouses les pelles et ses lèvres se moquent de celles de l’hippopotame. Conclusion : il était beau comme un paysan se doit de l’être.
Et Wanganhoba ne comprenait pas pourquoi les filles disaient de lui qu’il est aussi beau qu’un rhinocéros enlaidi. Sinon pire !
Cependant, ce matin, Wanganhoba est fébrile : il a rendez-vous … avec une jeune fille ! Une très belle jeune fille de vingt ans, espiègle, effrontée et coquette. Elle aimait jouer des tours pendables aux garçons.
Et elle leur cédait (très) difficilement si ceux-ci tentaient de lui faire la cour. Et on lui faisait la cour, car c’est la plus belle fille du village de Bizinokou.
Wanganhoba est donc fébrile parce que la fille que tous les mâles du village convoitaient et qui aimait jouer des tours mauvais lui a donné rendez-vous dans la brousse. Mais notre ami n’en avait cure. C’est la première fois que le pauvre Wanganhoba avait rendez-vous avec une fille !
Car chaque fois qu’il tentait d’aborder une demoiselle, elle lui riait à son gros nez. Un rendez-vous ! C’était donc sensationnel. Et pour une situation sensationnelle, avec une fille sensationnelle, il fallait que lui-même soit sensationnel !
Voilà pourquoi il portait un chapeau troué au milieu du crâne et baillant comme un crapaud somnambule, un pantalon qui n’arrivait pas à l’orée de sa cheville, une chemise dont le bas a perdu trois boutons, laissant voir son nombril gros comme une termitière. Ses pieds aux talons fissurés débordaient des chaussures mille fois rapiécées.
Avec cette tenue, ce qu’il y a de meilleur dans sa vieille malle, la belle demoiselle va être baba, pensa-t-il en se regardant fièrement dans un morceau de miroir.
Une daba sur l’épaule, il marchait sur le sentier jalonné d’herbes vertes et fraîches, bercé par le chant des oiseaux dans les arbres de la savane. Il se mit à siffloter.
Soudain :
– M’lèèèè ! M’lèèèèè ! M … mmm’lèèèèèè !Wanganhoba mit tout en berne.
– M’lèèèè ! M’lèèèè !Il n’y a plus de doute, c’est un bébé ! interpréta Wanganhoba.
« Mais un bébé dans un buisson ? »
Wanganhoba s’engouffra dans ledit buisson. Dans sa hâte, une des lanières de ses chaussures cassa. Il se débarrassa de toutes les chaussures. Et il tomba sur l’enfant. Un bébé encore rose, menu. Ses petits pieds s’agitant en l’air, il gigotait, sa bouche sans dent largement ouverte. Ses yeux étaient hermétiquement clos.
Wanganhoba se caressa la barbe, perplexe.
« Ce bébé est-il abandonné ? » se demanda-t-il. Sûrement, puisqu’il n’y avait personne à côté. L’enfant est couché à même les feuilles de karité, nu. Il ne pleurait plus.
Le géant se gratta le crâne. Que va-t-il faire ? Peut-être qu’après tout la mère est à côté. Mais une mère complètement inconsciente ! S’il l’attrapait celle-là ! maugréa le gigantesque homme dans sa tête.
Il se mit à appeler.
– Hooooooo ! La maman du bébé est à côté ? Qu’elle vienne tout de suite, le bébé veut sa tétée !Les buissons se secouèrent fougueusement et un buffle gigantesque apparu devant Wanganhoba, soufflant dans ses naseaux.
C’est à suivre …
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